Comment la famine renforce les inégalités de genre

Updated mars 11, 2024
Par Sophia Papastravou, technicienne spécialiste en égalité des genres, Vision Mondiale

Sous l’effet conjugué des chocs climatiques, des conflits en cours et des déplacements, la faim dans le monde a atteint un niveau record, marquée par une insécurité alimentaire grandissante et une alimentation de mauvaise qualité.

Quand des problèmes d’alimentation et de famine préexistants s’ajoutent aux conflits, les communautés touchées deviennent d’autant plus vulnérables à la faim, car leur accès à la nourriture et à l’eau et leurs conditions sanitaires se dégradent.

En raison d’un rendement agricole insuffisant et de moyens de subsistance perturbés, la faim continue d’affecter la vie de millions de personnes, en particulier les femmes et les filles. Affectées par des normes de genres néfastes ou forcées à faire des choix dangereux pour leur survie, les femmes et les filles sont incontestablement les plus touchées par la faim dans le monde.

Famine et normes de genre

Les femmes et les filles sont déjà plus vulnérables à la faim et à la malnutrition en raison de normes de genre discriminatoires et dangereuses, telles que les coutumes qui veulent qu’elles mangent en dernier, et moins que les autres. Les femmes sont également limitées dans leur capacité à prendre des décisions, à accéder à des ressources productives, des informations et des services et à les contrôler. De plus, leur mobilité est fortement restreinte. Les femmes et les filles ont une charge de travail domestique beaucoup plus conséquente que les hommes et les garçons, ce qui affecte leur productivité et exacerbe leurs difficultés à satisfaire à leurs besoins nutritionnels.

Les femmes et les filles mangent déjà en dernier et moins que les autres, si bien que la diminution des ressources combinée à leur pouvoir de décision limité sur l’allocation de ressources de plus en plus rares signifie que la crise alimentaire aggravera l’inégalité systémique qui empêche les femmes et les filles de faire valoir leurs droits en matière de nutrition adéquate.

A mom fills up a water container with clean water for her children.Shemsi, 26 ans, mère de deux jeunes enfants, remplit son contenant d’eau grâce à un camion-citerne de Vision Mondiale dans sa communauté en Éthiopie. En temps normal, elle marche des heures à la recherche d’eau potable pour nourrir et laver ses enfants. Photo:Bethel Shiferaw Kebede

Famine et violence fondées sur le genre

La famine et les conflits sont intimement liés et, par conséquent, il en va de même pour les violences sexistes.

Largement répandus, les mariages forcés précoces, la violence contre les enfants et les violences sexuelles et sexistes sont attisés par l’accès réduit à la nourriture et exacerbés par la guerre. Les violences sexuelles dans les zones de conflits constituent l’une des premières préoccupations en matière de protection des femmes réfugiées ou déplacées.

Les femmes et les filles sont particulièrement exposées aux violences sexuelles et sexistes et à l’exploitation, y compris au travail forcé, aux mariages précoces et aux relations sexuelles transactionnelles. Ces derniers vont non seulement à l’encontre de multiples droits des femmes et des filles, mais ont également un effet direct et indirect sur leur alimentation et leur état de santé général.

Les femmes continuent d’être la cible de violences sexuelles dans le cadre d’opérations militaires. Le viol et d’autres formes d’agressions sexuelles sont utilisés comme des armes de guerre, et permettent aux hommes de faire du mal aux femmes pour les dégrader elles, mais aussi leurs maris, leurs familles et leurs communautés. Cette forme alternative d’agression envers d’autres hommes est considérée comme une conséquence inévitable et inéluctable de la guerre, même si elle va à l’encontre de la sécurité des femmes et des droits de la personne.
 
La réponse de Vision Mondiale aux crises alimentaires dans le cadre de projets multinationaux dans divers pays tels que l’Éthiopie, la Somalie, le Soudan du Sud, la Syrie et le Yémen a permis de rejoindre les femmes et les enfants les plus vulnérables face aux risques de violation en matière de protection et de violences sexuelles et sexistes, par le biais de mécanismes de protection communautaires dans les zones touchées. Les projets ont jusqu’à présent permis de constater que, bien que les causes exactes de la famine diffèrent d’un pays à l’autre, la violence contre les femmes est en augmentation dans presque tous.

La réponse de Vision Mondiale

Le personnel de Vision Mondiale continue de travailler dans des conditions critiques et délicates, tout en apportant un soutien vital aux communautés en proie à la pauvreté de masse en temps de guerre. Le personnel de Vision Mondiale fournit des soins de secours aux personnes vivant dans des zones touchées par la crise et continue de risquer sa vie pour garantir la mise en œuvre d’une aide humanitaire en matière de nourriture, d’eau et de solutions sanitaires, de fournitures d’urgence et d’abris.

Children and World Vision staff smile in a classroom.Cette école au Yémen est devenue un endroit où les filles peuvent poursuivre leur scolarité en toute sécurité, grâce à un nouveau réservoir d’eau et de nouvelles toilettes. Avoir des toilettes propres et en bon état à disposition dans les écoles permet de sauver des vies et d’y garder les élèves, et en particulier les filles. Photo : Karam Kamal

De plus, les survivantes de violences sexuelles et sexistes peuvent bénéficier d’aides financières d’urgence et d’un accompagnement psychologique de base. On les encourage également à s’adresser à la police, à se rendre chez un oncle de confiance, ou à solliciter d’autres prestataires de services. Les membres du comité de protection et les bénévoles en nutrition des communautés sont formés à la prévention des violences sexuelles et sexistes, aux interventions à mettre en place dans ces cas et aux différents risques en matière de sécurité.

Un élément essentiel de ce dispositif de protection est la création d’espaces adaptés réservés aux femmes et aux filles, qui sont mis en place pour faciliter les activités de soutien psychosocial de base aux mères allaitantes vulnérables qui bénéficient de services de nutrition.  À cet égard, le personnel médical a reçu une formation de sensibilisation aux violences sexuelles et sexistes et aux violations contre les droits de l’enfant, y compris des messages sur la santé et la nutrition.

En Éthiopie, par exemple, afin de renforcer la résilience et faire face aux chocs climatiques, les femmes reçoivent des semis et du matériel agricole pour planter leurs propres jardins familiaux et de quartier. Les femmes créent également des groupes d’épargne avec d’autres femmes de leurs villages pour financer des activités génératrices de microrevenus.
 
L’intégration des services de sensibilisation, d’atténuation et de réponse aux violences sexuelles et sexistes dans les services de nutrition et de santé fait partie intégrante des différents projets. La distribution de trousses d’urgence pour les survivantes de ces violences, les femmes et les adolescentes vulnérables (vêtements, literie, trousses d’hygiène et trousses destinées à leur rendre leur dignité) fait partie de l’aide renforcée et indispensable apportée par les projets. 

Alors que la crise alimentaire persiste, l’intervention contre la faim dans le monde s’est heurtée à la triste réalité à laquelle font face les femmes et filles, ainsi qu’à l’effet dévastateur de l’insécurité alimentaire, des conflits et de la menace continue de violences sexuelles.